Francia. Ils étaient 30 000. L’accueil des enfants réfugiés de la guerre d’Espagne (Eran 30.000. La acogida de los niños refugiados de la guerra de España)

Avec Célia Kerenmaîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, membre junior de l’Institut Universitaire de France
Le Petit Journal du 24 août 1936 lance un appel : “Au secours des enfants espagnols victimes de la guerre civile”. Le journal nous explique que “des mesures ayant été prises pour assurer l’exode des enfants d’Espagne, le Comité de secours aux enfants, fidèle à sa tradition de secourir tous les enfants sans aucune distinction, lance un vibrant appel en faveur des innocentes victimes de la guerre civile en Espagne. Les sommes recueillies seront consacrées au placement des enfants réfugiés. Verser les fonds d’urgence au compte postal 384-65 du Comité français de secours aux enfants, 10, rue de l’Élysée, Paris 8e.” Face aux horreurs de la guerre, il est l’heure de l’évidence humanitaire.
La CGT au secours des enfants espagnols

Le 17 juillet 1936, un coup d’État militaire tente de renverser la République espagnole, alors dirigée par un Front populaire de gauche. La réaction française du gouvernement Léon Blum est celle de la non-intervention. Cette décision n’empêche pas l’essor d’un immense élan de solidarité civile, avec une pléthore d’initiatives. “Cette idée de faire venir des enfants victimes dès le début de la guerre, alors même que les violences de guerre contre les civils ne sont pas encore massives, nous dit que, en 1936, quand une guerre éclate, faire revenir des enfants […] est quelque chose de banal. C’est dans l’horizon d’attente des contemporains”, explique l’historienne Célia Keren, autrice de La Cause des enfants. Humanitaire et politique pendant la guerre d’Espagne (1936-1939) (Anamosa, 2025).

En novembre 1936, la Ligue des droits de l’Homme et la CGT décident de faire de l’accueil des enfants espagnols une action humanitaire. Au-delà de l’aspect solidaire de ce programme, l’investissement de la CGT est à comprendre au regard des divisions au sein de l’organisation, où les partisans de l’interventionnisme et ceux du non-interventionnisme s’opposent. L’aide aux enfants espagnols est la cause idéale à laquelle se consacrer afin d’éviter la politique. “[Cette] cause permet de mettre tout le monde d’accord et de souder les organisations de la CGT derrière une bannière humanitaire et apolitique”, rapporte Célia Keren.

Pour convaincre et mobiliser en faveur de l’aide des enfants espagnols, la CGT met en place une rhétorique humanitaire. Un Comité d’accueil aux enfants d’Espagne (CAEE) est lancé la veille de Noël 1936. Pendant plusieurs mois, la CGT appelle à l’unité des Français et Françaises dans la générosité vis-à-vis de ces enfants espagnols, quelles que soient leurs croyances ou opinions politiques. Distribution de tracts, articles dans la presse, et messages radio appellent toutes et tous à s’engager pour aider les enfants espagnols à survivre face à l’horreur de la guerre civile.

De l’Espagne à la France

Dès la fin de l’année 1936, des convois de milliers d’enfants partent de Madrid, Bilbao et Santander en train ou en car. Les pays d’accueil sont divers : 15 000 enfants sont évacués en France, 5000 en Belgique, 4000 en Grande-Bretagne et 3000 en URSS. Il y a également de plus petits groupes qui partent au Mexique, au Danemark et en Suisse. Les enfants espagnols évacués ne sont pas choisis au hasard. On compte davantage de garçons que de filles. “C’est le choix des familles espagnoles, [qui veulent] offrir aux garçons la possibilité de poursuivre leurs études, d’apprendre une nouvelle langue et, potentiellement, de s’inscrire dans une stratégie d’ascension sociale”, observe l’historienne Célia Keren. “Les filles, souvent, accompagnent leurs frères.” La plupart des enfants sont issus des classes populaires et viennent de la zone républicaine.

En France, les enfants évacués sont accueillis dans des familles de la classe ouvrière. Loin de leurs parents, garçons et filles espagnols ont le quotidien ordinaire d’un enfant dans une famille française. Ils sont soumis à l’obligation scolaire et fréquentent l’école primaire. Éloignés de leur famille, ils entretiennent souvent une correspondance avec leurs parents biologiques. La plupart des familles d’accueil ont conscience de participer à une action humanitaire et parfois, ce geste de solidarité se mêle à des désirs d’ordre plus intime. Beaucoup de familles ouvrières accueillent un enfant espagnol par désir d’avoir un garçon ou une fille en plus dans la famille.

Le temps du rapatriement

À partir de l’été 1937, la question du rapatriement des enfants espagnols émerge. Pour le pouvoir franquiste, le retour des enfants évacués vers leur pays d’origine est une priorité pour montrer que le calme est revenu en Espagne. Cette politique de rapatriement est également soutenue par le Vatican. Le pape Pie XI et son secrétaire d’État, Eugenio Pacelli, embrassent la cause franquiste. De nombreux envoyés du pape affirment que les enfants espagnols ont été kidnappés par des communistes qui ont trompé les parents.

Dès l’automne 1937, les enfants espagnols commencent à être rapatriés en masse. Si la majorité des enfants sont rapatriés en Espagne après la guerre civile, beaucoup restent en France et ne retournent pas dans leur pays d’origine. Certains rejoignent alors leurs parents dans des camps de réfugiés. Une autre histoire commence, celle de la Retirada.

Ils étaient 30 000. L’accueil des enfants réfugiés de la guerre d’Espagne : épisode 3/4 du podcast Humanitaire, histoires d’aide et d’ingérence | France Culture

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